Le film fait intervenir le garde forestier Peter Wohlleben et la scientifique Suzanne Simard. Il explore la communication entre les arbres. Et alimente le débat sur les relations entre l’Homme et la forêt.
Le film L’intelligence des arbres sort en France. L’intelligence désigne, selon les dictionnaires, l’organisation du réel en pensées par le mental ou la faculté de connaître et de comprendre. Ce moyen-métrage traite des émotions attribuées aux arbres et des relations que ces grands végétaux entretiennent entre eux, et avec leur environnement, en milieu forestier.
Il met en regard le point de vue de Peter Wohlleben, garde forestier allemand, et celui de scientifiques, en particulier Suzanne Simard, professeur d’écologie forestière à l’université de Colombie-Britannique (Canada).
Ce film de Julia Dordel et Guido Tölke, distribué par Jupiter Films, explore la symbiose qui se forme, sous terre, entre les racines des arbres et les champignons mycorhiziens. Par ce réseau, du carbone, du phosphore, de l’azote ou de l’hydrogène, circulent d’un arbre à l’autre. Suzanne Simard y voit « les bases d’un langage végétal élaboré ». En s’échangeant tantôt des nutriments, tantôt des signaux d’alerte ou de défense, les arbres « prennent soin les uns des autres », estime-t-elle.
L’intelligence des arbres fait suite à l’ouvrage de Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres. Un livre phénomène, encensé par la critique, traduit en 32 langues. Depuis sa mise en vente en mars 2017 en France, il s’en est écoulé plus de 250 000 exemplaires. Son éditeur, Les Arènes, le classe parmi ses meilleures ventes.
Le public enthousiaste, des scientifiques plus que sceptiques
L’enthousiasme du public émerveillé s’avère proportionnellement inverse à celui de la communauté scientifique. Au point que l’Académie d’agriculture de France s’est fendue d’une note sur ce livre, dont on peut regretter qu’elle n’y apporte pas son contrepoint argumenté.
Les experts font part de « sources absentes ou non vérifiables, extrapolations non justifiées, interprétations abusives et même erreurs manifestes »… et concluent que le livre « ne peut pas être considéré comme un ouvrage de vulgarisation scientifique ».
Amitiés versus interactions entre les arbres
Peter Wohlleben a le mérite de poser une question : « Pourquoi avons-nous plus de difficultés à comprendre les plantes que les animaux ? ».
Le livre et le film poussent à leur paroxysme l’analogie entre les arbres et les humains. Ainsi, les arbres forment des familles où la mère-arbre élève ses bébés, ses enfants, ses progénitures. Dans leur entourage, évoluent des arbres adolescents, adultes, vieillards, frères, cousins. Dans cette généalogie des arbres humanisés, nous n’avons trouvé ni père, ni sœur.
La chercheuse Suzanne Simard s’exprime, dans le film, sur le concept d’amitié entre les arbres :
« C’est un terme très humain pour décrire les relations qu’entretiennent les plantes les unes avec les autres. La science utilise le terme d’interaction. C’est un mot un peu froid, mais il répond aux questions suivantes. Y-a-t-il une entraide entre les deux parties ? Une compétition ? […]. Oui, je crois que l’on peut parler d’amitié entre les espèces, car elles interagissent en permanence. »
Quelle place pour l’être humain en forêt ?
Le film invite à revoir la gestion forestière en tenant compte de cet « aspect communautaire » de la forêt, ainsi que des interactions entre les arbres. Il porte en germe la notion de droit du végétal, de droit des arbres. Un nouveau contrat social qui pourrait rapprocher les professionnels de la forêt et l’ensemble de la société. Certes, le dispositif législatif et réglementaire existant (Code forestier, etc.) y apporte déjà une consistance.
Néanmoins, la place que Peter Wohlleben octroie aux êtres humains dans la forêt interroge. Dans son livre, ceux-ci se cantonnent au rôle d’observateurs, de promeneurs, de participants à des stages de survie ou alors à des morts, dans un cimetière forestier renfermant des urnes funéraires.
« Toute intervention humaine est proscrite », écrit-il, pour qu’un sol forestier puisse se constituer. L’intervention humaine a été « catastrophique » pour le hêtre commun. « Les belles amitiés » entre les arbres ? Elles « s’observent uniquement dans les forêts naturelles ». Le douglas introduit par l’homme est un « intrus », quand la tourterelle turque est l’un des « nouveaux citoyens apparus “naturellement”, sans intervention de l’homme ».
« Des questions à porter au débat »
Peter Wohlleben parvient, dans le film, à une conclusion tranchée :
« La tronçonneuse est une arme de destruction massive. »
Il se fait pourtant le chantre du débardage à cheval et de la sylviculture en futaie jardinée. Mais, il ne dit pas comment les arbres sont coupés avant d’être débardés. Ou s’il prône d’autres outils et en quoi ceux-ci seraient à ses yeux exonérés.
France Nature Environnement (FNE) est partenaire du film. Selon Julie Marsaud, coordinatrice du réseau forêt de FNE :
« Ces questions sont à porter au débat, en les abordant avec plus de nuances. Ce qui peut intéresser le grand public reste inexistant dans le débat forestier. L’angle de ces travaux correspond à l’un des sujets que nous portons, soit la vision sensible autour de l’individu arbre et l’enjeu de remettre l’arbre dans le cadre de vie, au-delà des questions de sylviculture ou d’économie. »
Peter Wohlleben publie en France, en octobre 2017, un deuxième livre, La vie au cœur de la forêt, qui se veut « le compagnon indispensable de vos balades insolites en forêt ou dans les bois ». Peut-être une occasion pour les académiciens de reprendre la plume.
L’engouement du public représente une opportunité pour les experts, chercheurs, parties prenantes de la filière forêt-bois, de faire entrer autant d’enjeux dans l’arène du débat public.
Chrystelle Carroy/Forestopic